L’assassinat de Ján Kuciak et Martina Kušnírová
- connaitrelamafiasc
- 21 févr.
- 4 min de lecture
par Boldizsár Rácz

Les liens entre le crime organisé et la politique sont des clichés dans la majorité des pays du monde, mais ils deviennent une réalité cruelle lorsqu'ils sont découverts d'un moment à l'autre. Dans cet article, nous commémorons le septième anniversaire de l’homicide du journaliste d'investigation Ján Kuciak et de sa fiancée en Slovaquie. Kuciak est un martyr du combat anti-mafia, ayant révélé les liens entre la politique slovaque, notamment le gouvernement de Robert Fico, et les groupes mafieux comme la 'Ndrangheta.
Avant tout, il faut éclaircir le contexte. Dans les pays anciennement socialistes d'Europe centrale (la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie et la Hongrie), après la chute de l’Union soviétique, la criminalité a atteint un niveau jamais vu, tant au niveau populaire que politique. En comparaison avec les données proportionnelles des pays d'Europe de l’Ouest, des formes de délinquance comme le pillage, le vol et la violence dans la rue étaient bien plus élevées dans les années 90.
Bien que ces pays aient atténué ces problèmes et soient désormais considérés comme plus sûrs que les pays de l’Europe de l’Ouest, les réseaux du crime organisé bâtis pendant les années 90 se sont dissimulés dans l’élite politique. Ces pays ont dû faire face à leur passé : les réseaux d'élite constitués sous le communisme n'ont pas disparu et les nouvelles lois ont offert des conditions très favorables à ceux qui s'étaient engagés dans des activités semi-illégales. Celles-ci incluaient la distribution systématique d'entreprises d'État et de biens immobiliers sous le régime communiste. C'est dans cette atmosphère que s'est ouverte une nouvelle ère en Slovaquie, où les liens entre la criminalité et la politique étaient très évidents, même en comparaison avec d'autres pays.
Après d'innombrables pots-de-vin, chantages et diverses méthodes mafieuses, la situation en Slovaquie est devenue une question internationale. La situation était tellement grave qu'en 1997, Madeleine Albright, secrétaire d’État de Bill Clinton, a qualifié la Slovaquie de “trou noir de l’Europe”. Le moment choisi n'était évidemment pas une coïncidence : Mme Albright a fait cette déclaration après l'enlèvement du fils du président de la République. En arrière-plan de ce problème se profilait l'ombre du Premier ministre autocratique Vladimír Mečiar, qui avait pris le pouvoir après le communisme et qui était l’adversaire politique du président de la République, Michal Kováč. La situation s'est aggravée lorsque le témoin le plus important de l'affaire a été assassiné. Bien que Mečiar ait refusé d’assumer la responsabilité et qu'il soit devenu président de la République par intérim après la mort de Michal Kováč, il a accordé une amnistie aux personnes condamnées dans cette affaire (y compris son ancien chef des services secrets), ce qui a suscité une vague d'indignation. Finalement, un amendement constitutionnel a donné au Parlement le pouvoir d'abolir cette grâce. L'un des auteurs de cette proposition était Robert Fico, à l'époque allié de Mečiar, qui est devenu Premier ministre en 2006.
Même pendant la décennie turbulente et marquée par l'absence de droit qui a suivi la fin du communisme en 1989, aucun journaliste n'avait jamais été tué en Slovaquie. Battu et menacé, oui - à de multiples reprises; mais jamais exécuté d'une balle dans le cœur ou la tête, comme ce fut le cas pour le journaliste slovaque Ján Kuciak et sa fiancée Martina Kušnírová dans leur maison.
Avant son assassinat, Kuciak travaillait pour le site d'information Aktuality.sk et enquêtait notamment sur les liens entre la mafia italienne 'Ndrangheta et des membres du gouvernement slovaque. Bien que Kuciak n'ait jamais pu terminer son article, le journal l'a finalement publié. En résumé, Kuciak démontre le lien entre les acteurs politiques (comme le député Viliam Jasan, l’ancien ministre de l’Économie Ľubomír Jahnátek ou le Premier ministre Robert Fico) et les acteurs du crime organisé, comme la famille Vadala, liée à la 'Ndrangheta.
Au début, Kuciak révèle que l'objectif principal des mafieux italiens en Slovaquie était le blanchiment d’argent et l'achat de terres productives. La faible jurisprudence offrait un cadre favorable à cela. Il montre que plusieurs membres ont choisi la Slovaquie comme deuxième domicile, notamment les Vadala, qui avaient des contacts et des participations dans des entreprises liées aux personnalités politiques déjà mentionnées. Kuciak présente un cas où Vadala a menacé de mort le propriétaire d’une parcelle s'il ne lui vendait pas sa terre. Deuxièmement, Kuciak parle d'une fraude fiscale impliquant une entreprise de Vadala. De plus, un lien avec la 'Ndrangheta semblait exister à travers Mária Trošková, une mannequin, "femme d'affaires" et conseillère ainsi que compagne de Robert Fico, qui aurait été également en relation avec Antonino Vadala.
Après l’assassinat, l'enquête a révélé des indices montrant que l'ordre d'exécution venait de Marián Kočner, un homme d'affaires influent que Kuciak avait dénoncé dans ses articles. Kočner était connu pour ses liens avec des politiciens comme Robert Fico.
Finalement, les tueurs à gages identifiés étaient Miroslav Marček et Tomáš Szabó, condamnés à 25 ans de prison. Zoltán Andruskó a été condamné à 15 ans de prison pour son rôle de médiateur. Bien que Kočner purge une peine de dix-neuf ans de prison, il n'a pas été condamné pour avoir commandité le meurtre, mais pour plusieurs affaires de fraude.
L'indignation populaire a conduit à des manifestations massives à travers le pays, les plus importantes depuis la chute du communisme en 1989. Sous la pression de l'opinion publique et des organisations internationales, le Premier ministre Robert Fico a été contraint de démissionner en mars 2018, suivi du ministre de l'Intérieur Robert Kaliňák et du chef de la police Tibor Gašpar.
En 2020, Zuzana Čaputová, avocate anticorruption, a été élue présidente, marquant ainsi un rejet massif des pratiques opaques du passé. Malgré les scandales, Robert Fico et son parti Smer ont remporté les élections en 2023. Fico a alors entamé une série de changements touchant les enquêtes criminelles. Depuis son nouveau mandat, la Slovaquie a connu une chute historique dans les classements sur la corruption.
L'affaire Kuciak a été révélatrice pour beaucoup en Slovaquie, en Europe et dans le monde. En tant que martyrs, Ján Kuciak et sa fiancée restent un symbole de la lutte pour la liberté du journalisme d'enquête et contre le crime organisé.
Bibliographie :
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